Paroles indiennes, Michel Piquemal (1994)

"Notre monde occidental a pour règle de juger le génie des civilisations à l'ampleur des traces qu'elles laissent derrière elles: monuments, églises, fortifications militaires, etc.  A cette aune-là, la civilisation indienne ne pèse pas bien lourd et sa disparition peut paraître un détail de l'Histoire.
Pourtant, ces peuples ont parlé avant d'être définitivement vaincus. Et nous restons confondus devant ces bribes de voix et ce qu'elles laissent présager de leur spiritualité.
Ces hommes (qui ne bâtissaient ni pyramides ni cathédrales) avaient trouvé leur juste place dans le cosmos, au sein d'une Nature qu'ils respectaient et adoraient. Ils ne cherchaient pas à accumuler richesses et bien-être, mais à se forger une âme forte en harmonie avec le monde. Savoir s'intégrer respectueusement à l'univers des forêts ou des plaines, savoir reconnaître l'étincelle du sacré dans chaque parcelle de vie... voilà l'essentiel de leur philosophie.
Quand on sait la cupidité qui animait les conquérants venus d'Europe, on comprend que la dialogue était impossible entre deux manières aussi opposées d'envisager l'existence. Cependant, face à l'avancée impitoyable des colons, les Indiens d'Amérique ont sans cesse recherché un consensus qui leur permettrait de continuer à vivre en pais selon leur antique manière... Mais pour l'homme blanc, il n'y avait pas de consensus possible en dehors de la déportation et de l'extermination. Et c'est sans doute là l'un des aspects les plus poignants des textes que nous publions ci-après: des hommes cherchant à s'expliquer, à se faire comprendre face à des sourds qui ne veulent pas entendre... et qui préjugent orgueilleusement de leur qualité de "civilisés" pour s'arroger tous les droits.
On sait quel cortège de crimes (massacres, spoliations, traités signés et aussitôt bafoués,...) la confrontation a donné lieu. Mais il n'est plus temps de pleurer sur l'anéantissement physique du monde indien, il n'est plus temps de rager sur un génocide aussi abominable que stupide; l'urgence est aujourd'hui de s'interroger sur ce que leur spiritualité (que l'on retrouve vivace au travers des écrits) peut apporter à l'avenir de l'homme.
Face au désarroi dans lequel se trouve plongé notre monde matérialiste, la sagesse indienne apparaît comme une source toujours vive. ces "paroles" ne pouvaient donc qu'inaugurer une collection cherchant à mettre à la portée de tous les textes clés de la spiritualité éternelle.

Michel Piquemal.

Le souvenir de la lecture de ses textes est resté, inébranlable, gravé dans ma mémoire. Les Amérindiens étaient sans doute les plus grands philosophes de leur temps. Ils ne cherchaient pas à comprendre l'homme en tant qu'être supérieur parmi les autres, mais ils souhaitaient vivre en harmonie avec la Nature, sans la dénaturer et en respectant ses équilibres.
Ces écrits devraient être lus par tous car ils font partie de la mémoire collective et constituent, sans aucun doute, une part de la solution qu'il nous reste à construire ensemble.

Extraits:

"Qu'est ce que la vie?
C'est l'éclat d'une luciole dans la nuit.
C'est le souffle d'un bison en hiver.
C'est la petite ombre qui court dans l'herbe
et se perd au coucher du soleil."

Crowfoot, chef blackfeet (1821 - 1890)


"Les Blancs se sont toujours moqués de la terre, du daim ou de l'ours. Quand nous, Indiens, tuons du gibier, nous le mangeons sans laisser de restes. Quand nous déterrons des racines, nous faisons de petits trous. Quand nous construisons nos maisons, nous faisons de petits trous. Quand nous brûlons l'herbe à cause des sauterelles, nous ne ruinons pas tout.
Pour faire tomber glands et pignons, nous secouons les branches. Nous n'utilisons que du bois mort. Mais les Blancs retournent le sol, abattent les arbres, massacrent tout. L'arbre dit: "Arrête, j'ai mal, ne me blesse pas." Mais ils l'abattent et le découpent en morceaux. L'esprit de la terre les hait. Ils arrachent les arbres, la faisant trembler au plus profond.
Comment l'esprit de la terre pourrait-il aimer l'homme blanc? Partout où il la touche, elle est meurtrie."

Une vieille femme wintu



Photographies mises en regard des textes:

Edward S. Curtis (1868 - 1952) a parcouru, de 1896 à 1930, l'Amérique du Nord, de l'Ouest du Mississippi à l'Alaska, afin d'immortaliser ce qu'il considérait comme une race en voie d'extinction. Il a ainsi offert aux générations futures près de 40000 clichés d'une civilisation mourante, victime d'un génocide dont on connait aujourd'hui l'ampleur et l'inhumanité.


Photo de Edward S. Curtis extraite de L'Amérique indienne, Albin Michel, 1992







Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire